La Guerre
La vie et la mort, c’est la même chose.
Celui qui hait ou craint la mort, hait ou craint la vie.
Parce qu’elle est fontaine inépuisable de vie,
la nature n’est qu’un grand cimetière,
un égorgeoir de tous les instants…
Michel Tournier,
Le roi des aulnes

(Jupille, 1882-Liège, 1954)
La population juive d'Europe était de 9,5 millions de personnes en 1933. Quinze ans plus tard, elle tombe à 3,5 millions.
On connait d’Alexis FIVET des scènes familières d’une grande douceur. Il aimait représenter la vie locale, où il exprime parfois une forme d’humour dans ses portraits. On pense notamment à ses réalisations dans sa région d’enfance. Certaines de ses œuvres comme « Jour de marché en Bretagne » ou encore ces baigneuses, en train de se délasser au soleil, cigarette à la main dans la peinture appelée « Le grand silence » témoignent d’une gaieté. Il obtient la bourse de la fondation Darchis et séjourne à Rome de 1914 à 1917. Il y peindra alors de merveilleuses caravanes de paysans accompagnés de leurs ânes dans un décor aride. A ce moment, on ressent la douceur de son art, une forme d’apaisement.
Après un séjour à Rouen, il se fixe à Annevoie où son atelier et la plupart de ses œuvres sont détruits durant la première guerre mondiale. Mobilisé en 1917, il doit affronter la réalité du terrain, avant de retourner en Italie.
Pour l'artiste, immortaliser la peur éprouvée pendant la guerre s’avère donc central. Après les épreuves vécues, son talent de portraitiste est mis au service d’une réalité bien plus sombre. Sa facture réaliste, voire photographique, exprime désormais souvent la misère de la guerre et des visages meurtris.
Deux de ses œuvres de 1945 témoignent en particulier de cette horreur. On pense à « Pendant l’alerte » où une famille terrorisée s’abrite durant la seconde guerre et surtout à ce tableau exceptionnel titré « die Sauberung ». On y voit un soldat allemand donner une instruction à une infirmière. A droite, les femmes ont la tête couverte comme l’exige la tradition juive. Une d’elle caresse un chat. A son opposé, une dame en brun, enceinte, se tient le bas du ventre. Les visages sont las et on ressent l’humidité infiltrer chaque habit. Les prisonniers écoutent les instructions lorsqu’ils en ont la force. Certains s’écroulent. On peut lire l’incompréhension dans les visages.
Nous aurions tous imaginé que cette scène soit reléguée au passé, nous l’espérons encore …
Pastelliste, graveur et sculpteur, Alexis FIVET est un artiste complet. Témoin de sa maîtrise de la sculpture, une stèle « à nos morts glorieux » fut érigée en 1921 à Marche en Famenne par notre artiste. Elle représente 4 soldats, deux femmes et un enfant.
Par son travail réaliste, au plus proche de l’humain, de ses joies et de ses souffrances, Alexis FIVET nous immisce dans un passé un peu trop actuel.
Julien GOIJEN